La question du logement se pose avec acuité de nos jours au Burkina Faso, car trouver un ‘‘chez soi’’ est pour la majorité des burkinabè un casse-tête. Pour pallier cette insuffisance, certaines personnes développent des initiatives. C’est le cas de Ma Arouf Nébié et de ses amis qui, à travers une nouvelle approche, donnent l’occasion à ceux qui ont de modestes revenus d’avoir un logement. La coopérative Yiiri Nooma tente d’apporter une alternative communautaire accessible à tous. Ma Arouf Nébié nous parle de son parcours, de ses difficultés et de ses perspectives à travers un entretien accordé à l’équipe de Jeunesse Academy.

Ma Arouf NEBIE © JA

BIO EXPRESS

Serial entrepreneur à succès, Ma Arouf NEBIE est titulaire d’un master en planification et management de l’éducation. À la base, ce jeune entrepreneur était professeur des lycées et collèges de 2012 à 2021. Après avoir enseigné pendant 10 ans, il décide de prendre une disponibilité pour se lancer dans l’entrepreneuriat. Ma Arouf a mené aussi d’autres activités comme consultant à SES (Solution Etude et Sondage) durant 03 ans avant de lancer sa première structure. C’est conscient des difficultés d’acquisition de logements, qu’il a mis en place en 2019 une coopérative dénommée Yiiri Nooma.


Jeunesse Academy : Présentez-nous la coopérative Yiiri Nooma dont vous êtes le premier responsable ?

Ma Arouf Nébié : La coopérative Yiiri Nooma a pour ambition d’apporter une nouvelle approche, en permettant aux moins nantis d’avoir des logements décents avec des facilités de payement et des coûts réduits. C’est beaucoup plus une approche solidaire où les gens fusionnent leurs moyens pour réaliser le projet dont ils seront eux-mêmes bénéficiaires. Yiiri Nooma est donc une plateforme qui facilite cette approche de solidarité. A l’issue de ce premier projet, nous sommes en train de réaliser notre première cité à Donsin dans la commune de Dapélogo où nous sommes en train de dégager près de 1500 parcelles à usage d’habitation au profit des coopérants.

Pourquoi avez-vous eu l’initiative de la création de cette coopérative ?

Cette initiative est née d’une expérience personnelle. Après les études j’ai souscrit au programme de logements de l’Etat puis j’ai été attributaire. Lorsque je suis allé, le programme m’a référé à une structure privée, mais les conditions ne convenaient pas au fonctionnaire que j’étais. J’ai arrêté donc la procédure puis j’ai commencé à faire des recherches pour envisager une autre alternative. C’est ainsi qu’avec un ami qui travaillait à la Société nationale d’aménagement des terrains urbains (SONATUR) à l’époque et un autre ami urbaniste nous avons échangé pour voir ce qui pouvait être fait. Le premier projet a été en collaboration avec la mutuelle des travailleurs de la Fondation de solidarité et d’aide aux des peuples africains (FOSAPA) où j’étais professeur en tant que vacataire. Nous avons lancé le projet à la mutuelle qui a été un succès, bien sûr avec certaines difficultés. Après cette expérience, je me suis demandé pourquoi ne pas créer une autre structure qui va permettre à d’autres personnes qui ne sont pas forcément de la fondation d’en bénéficier. Nous l’avons mis en place en 2019 et par la suite, nous avons informé nos amis proches et collègues de l’enseignement, de la santé et même du secteur informel.

« …un entrepreneur c’est quelqu’un qui est fou dans sa tête et cohérent dans ses actions. »

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Quels sont les acquis engrangés depuis la mise en place de Yiiri Nooma ?

En termes d’acquis nous sommes en train de réaliser deux projets qui sont pratiquement à la fin de la première phase qui est celle du foncier. Comme vous le savez, l’objectif n’est pas d’avoir des parcelles, mais d’avoir des logements décents pour tout le monde. Je pense qu’en termes d’acquis nous avons aujourd’hui deux sites qui sont en cours d’aménagement dans la commune de Dapélogo. Un autre acquis non moins négligeable est le fait d’avoir permis aux gens de savoir qu’il y a d’autres moyens pour obtenir un logement sans passer par les Promoteurs Immobiliers Privés.

Quels sont les défis auxquels vous avez dû faire face dans votre parcours d’entrepreneur et notamment avec votre initiative Yiiri Nooma ?

Les défis, il y en a tellement. Il faut dire que l’approche coopérative est une prescription légale au Burkina Faso. Malheureusement elle n’est ni comprise ni maitrisée. L’un des principaux défis que nous avons dus relevés, c’est de travailler d’abord à le faire comprendre par les membres, et à les convaincre que nous ne sommes pas dans du faux. Utiliser les ressources de plus de 700 personnes constituent beaucoup d’argent. Il a donc fallu travailler à rassurer les membres en les amenant à comprendre le concept et la démarche afin qu’ils puissent sereinement s’engager. Ensuite, au niveau administratif le mécanisme d’accompagnement n’était pas du tout maitrisé et jusqu’aujourd’hui c’est toujours d’actualité. À un certain moment nous avons été obligés de faire des voyages d’études à Dakar et à Abidjan pour voir comment ça se passe dans d’autres pays avant de revenir produire les mémorandums des rapports puis à les donner au ministère de tutelle. Le second défi a concerné l’aspect administratif car il n’y avait pas vraiment de mécanisme bien ficelé pour nous accompagner. Le troisième défi a été l’aspect technique et financier. À notre niveau je dirai que l’aspect financier n’a pas été un gros souci parce qu’après avoir compris l’approche, les gens ont contribué. Cette contribution nous a permis de réaliser ce projet de près de 150 hectares sur fond propre sur la base des cotisations de nos membres.

Quelles sont les autres initiatives de l’entrepreneur que vous êtes et quelles sont vos ambitions ?

Au-delà de la coopérative qui est beaucoup plus sociale, j’ai mis en place ma propre société Sky Skill Business (2SB) qui essaie d’apporter aussi sa contribution. Le Burkina est un pays enclavé où nous avons besoin de développer les sociétés de transports pour faire le lien avec les ports des pays voisins. Nous essayons aussi la vente et la location des véhicules. Parallèlement, nous sommes en train de mettre en place une structure qui s’appelle Bayiir Koodo. Nous souhaitons nous lancer dans l’agro-business c’est-à-dire la production et la transformation des denrées de première nécessité notamment celles des céréales.

Quelle a été votre plus grande difficulté dans l’entrepreneuriat ?

Je pense que la plus grande difficulté est de se convaincre d’abord, d’avoir la capacité d’apporter un plus. La conception populaire dans nos pays c’est que la fonction publique est une garantie. Comment sortir de cette zone de confort ? C’est l’une des plus grosses équations. J’ai pu bénéficier de l’accompagnement de mes amis et notamment de la Jeune Chambre Internationale (JCI). L’autre aspect était de faire comprendre aux gens, l’approche coopérative.

Selon vous, quelles sont les aptitudes qui permettent de commencer, d’étendre et de pérenniser une entreprise ?

En termes d’aptitudes, il faut l’estime de soi, la confiance en soi. Ensuite, il faut avoir la capacité de se projeter sur plusieurs années. Comme j’aime à le dire, un entrepreneur c’est quelqu’un qui est fou dans sa tête et cohérent dans ses actions. Apprendre à rêver grand permet de persévérer, de s’organiser, d’être rigoureux et de travailler.

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Quelles sont les perspectives pour vos différentes initiatives ?

La perspective avec Yiiri Nooma c’est d’aller vers la concrétisation de notre rêve. Il s’agit de travailler à ce que d’ici trois à cinq ans, nous puissions aller au-delà des terrains en ayant une cité avec des maisons habitées. C’est un rêve que nous nourrissons avec bien sûr l’accompagnement de nos partenaires et de l’Etat. Nous rêvons qu’avant la fin de cette année, nous puissions démarrer la construction de la cité. Ensuite, nous souhaitons contribuer à l’essor de mes sociétés, 2SB et Bayiir Koodo, en travaillant à les faire mûrir pour apporter leurs contributions au développement du Burkina Faso.

Quel est votre dernier mot à l’endroit de toutes ces personnes qui trouvent de l’inspiration dans votre parcours ?

J’invite mes amis, mes frères et mes sœurs à développer leur capacité de rêver. Il faut croire en ses capacités d’ajouter un plus à la société. Chacun a une valeur ajoutée à apporter au développement et si nous arrivons à atteindre cette capacité, j’ai foi que chacun va réussir. Je crois que le succès se trouve dans ces éléments. C’est aussi l’occasion d’avoir une pensée pieuse pour toutes les victimes de l’insécurité au Burkina Faso. Je souhaite que nous puissions travailler main dans la main pour le développement de notre pays.

La Rédaction