Bio Express
Dramane Bazié est un professionnel du domaine des finances. En effet, après avoir obtenu le BAC littéraire (série A4), il poursuit les études supérieures à l’université de Ouaga où il s’inscrit à la faculté de droit. Après sa Maitrise, il est admis au concours d’entrée à l’Ecole Nationale des Régies Financières (ENAREF) où il sera formé en comptabilité publique et sortira inspecteur du Trésor. Pendant qu’il était au Trésor, Dramane Bazié fait un Diplôme d’Études Supérieures Spécialisées (D.E.S.S.) en droit économique puis sera admis à une bourse d’étude de la BCEAO pour une spécialisation en Banque et Finance à Dakar. Aujourd’hui, Directeur général de la Compagnie Financière Africaine (COFINA) au Burkina, monsieur Bazié a fait une transition en quittant le secteur public pour le secteur privé en passant par des structures telles que MCA (Millenium Challenge Account) et Orabank.
PARCOURS EXCEPTIONNEL D’UN PASSIONNÉ DES FINANCES, DE LA FONCTION PUBLIQUE AU SECTEUR PRIVÉ
Être fonctionnaire, en d’autres termes, agent de la fonction publique, est le rêve de bon nombre de citoyens qui trouvent en ce statut une garantie professionnelle. Cette idée est tellement entrée dans la conscience collective qu’il parait insensé de quitter la fonction publique pour le secteur privé. Pourtant, malgré cette perception dominante, il y a des personnes pour qui, être fonctionnaire n’est pas une fin en soi. Accéder à ce statut ne devrait pas être synonyme d’accomplissement et empêcher de se lancer dans d’autres challenges professionnels. Dramane Bazié, Directeur Général de COFINA Burkina, fait partie de ces personnes qui, avant l’aventure dans le privé, étaient bien loties dans la fonction publique. Avec beaucoup de joie, il s’est prêté aux questions de Jeunesse Academy lors d’une interview que nous vous invitons à découvrir.
Pouvez-vous nous résumer votre parcours professionnel ?
Avant de venir à COFINA Burkina, en octobre 2019, j’étais le Directeur de la clientèle entreprises et grandes entreprises de Orabank Burkina. Mais avant d’être à Orabank, j’ai d’abord commencé ma carrière au Trésor Public du Burkina comme inspecteur du Trésor. Ensuite, j’ai servi comme chef de service juridique du Trésor Public. Après le Trésor, j’ai rejoint le secteur privé, précisément la Banque Régionale de Solidarité (BRS), devenue plus tard Orabank, comme Directeur juridique puis Secrétaire Général. Quelques années après, j’ai quitté cette banque pour rejoindre un projet de développement, à savoir le Millenium Challenge Account (MCA), un projet du gouvernement américain où j’ai travaillé comme Responsable des contrats.
Par la suite, je suis revenu dans le secteur bancaire (à Orabank), d’abord comme Directeur des Ressources Humaines et du Patrimoine, puis comme Directeur Clientèle entreprises, grandes entreprises et institutions de microfinances. C’est de ce poste que j’ai rejoint COFINA Burkina comme Directeur Général.
Qu’est-ce qui vous a motivé à aller dans le privé alors que vous étiez fonctionnaire ?
Pour beaucoup, surtout dans le système francophone, quand on démarre dans la fonction publique, c’est pratiquement pour y faire toute sa carrière. Alors que de l’autre côté, dans les pays anglo-saxons, les gens démarrent dans la fonction publique ou le privé mais il y a une sorte de va-et-vient entre le privé et le public. Cela permet au service public de profiter du dynamisme du privé et parfois, cela permet au privé de profiter des capacités du secteur public. Ce qui fait que quand vous allez dans les pays anglo-saxons, la plupart de ceux qui sont au niveau des hauts postes du public ont eu à servir dans le privé. Vous allez trouver dans certains départements du Trésor, des gens qui ont travaillé dans les banques, des gens qui ont été chefs d’entreprises, et les différents acteurs se connaissent mieux parce que chacun a été à la place de l’autre. C’est une dynamique qui m’a très vite animé et je n’ai pas hésité à postuler quand les banques ont lancé des appels à candidatures. Ceux qui m’ont recruté à l’époque se sont dit que, venant d’un département du ministère des finances, j’aurais sans doute des connaissances ou un savoir-faire dont ils pourraient profiter, et cela a facilité mon insertion.
Au Burkina, on a de plus en plus de jeunes fonctionnaires qui n’hésitent pas à rejoindre le secteur privé et malgré tous les défis qui les attendent, ils travaillent pendant des années et après, quand ils ont des opportunités dans le public, ils font le chemin inverse. C’est une dynamique qui est à encourager et cela permet à ces deux pans de l’économie de mieux se connaitre et au final, c’est le consommateur, le citoyen et le pays qui devraient pouvoir en profiter.
Quelles ont été les étapes marquantes de votre carrière ?
Comme étapes qui m’ont beaucoup marqué, c’est d’abord quand j’étais au Trésor Public. J’ai servi à ce qui est aujourd’hui l’agence judiciaire du Trésor. Il s’y trouvait un certain nombre de grands contentieux que j’ai eu à gérer, et cela m’a beaucoup forgé. Il y avait vraiment des dossiers très importants qui se traitaient au sein de ce département et on n’a pas hésité à me responsabiliser très tôt alors que j’étais jeune. Cela m’a ouvert beaucoup de portes en termes de connaissances et d’opportunités.
La deuxième expérience qui m’a beaucoup marqué vient de mon parcours au Millenium Challenge Account. Un fascinant projet d’un montant de 240 milliards de F CFA qui devait financer un certain nombre de grandes infrastructures au Burkina sur des projets de routes, des projets d’aménagements hydro-agricoles et tout cela, en un laps de temps. Nous devions travailler sur ce projet d’une manière différente de ce que nous avions l’habitude de voir puisque c’étaient des Américains, qui ont d’autres façons de voir. Cela a été l’occasion de découvrir beaucoup de choses, de confronter ce que nous savions déjà à ce qu’ils nous demandaient de faire. Quand on réussit cela, on est vraiment marqué.
Est-il possible, avec votre carrière dans le privé, que vous repartiez à la fonction publique ?
On ne peut jamais dire jamais; ce sont des choses qu’il ne faut pas écarter parce que durant tout ce cursus ici, j’ai appris beaucoup de choses et l’occasion peut se présenter pour que toutes ces choses soient valorisées du côté de la fonction publique. J’ai un de mes collègues Sénégalais qui était le DG de COFINA Sénégal, aujourd’hui il travaille au ministère des finances du Sénégal où il s’occupe de tout ce qui est inclusion financière. Du fait d’avoir été Directeur d’une institution de mésofinance, c’est sûr qu’il y a beaucoup de questions qu’il va contribuer à résoudre à la faveur de tous ceux qui sont consommateurs de micro-crédit, de méso-crédit et aussi de la jeunesse du Sénégal. Je crois que ce sont des choses qui doivent être dupliquées au Burkina.
A-t-il été difficile pour vous de vous adapter aux réalités du privé ?
Dans le secteur privé il y a beaucoup de challenges. Si vous n’arrivez pas à atteindre vos objectifs, vous devez vous justifier, votre contrat peut ne pas être renouvelé. Heureusement, quand j’étais au Trésor, c’était l’une des administrations les plus dynamiques du Burkina. A l’époque, tous les processus d’informatisation commençaient certes, mais le Trésor était très en avance. Ce que j’ai beaucoup aimé là-bas, c’est qu’on formait beaucoup les agents et cela est d’ailleurs un avantage de la fonction publique au Burkina. Même si vous n’avez pas beaucoup d’argent, en termes de formations, les gens n’hésitent pas à vous former, à mettre de gros dossiers entre vos mains. Si vous êtes un agent qui a un objectif bien fixé, vous allez certainement voir que financièrement vous n’êtes pas aussi bien loti que quelqu’un qui est dans certaines institutions financières privées, mais vous pourrez vous réjouir du bagage de formations dont on est en train de vous doter car vous pourriez le capitaliser après.
Les textes qui réglementent la fonction publique au Burkina permettent aux agents de prendre des disponibilités pour aller vers le privé, d’être en détachement pour certains projets de développement. Ce sont donc des ouvertures qui sont faites et un agent qui a un bon background peut en profiter pour se positionner dans l’avenir ; c’est ce que j’ai essayé de faire.
Que doit faire un jeune aspirant à réussir dans le domaine des finances ?
Dans le domaine de la finance en général, et de tout ce qui est institution bancaire, il y a encore beaucoup de postes en création, compte tenu du fait que le besoin de financement de notre économie est élevé.
C’est une bonne chose que des jeunes soient intéressés par ce secteur mais seulement, il faut qu’ils sachent quel pan du secteur les intéresse et qu’ils travaillent, à travers des stages et des formations, à s’orienter vers ce pan. Par exemple, il y a beaucoup de jeunes qui ont fait des maitrises en finance et comptabilité et d’autres des DUT, qui viennent me voir en me disant qu’ils veulent intégrer le domaine des banques ou des SFD (NDLR : Systèmes Financiers Décentralisés). Quand je leur demande quel est l’aspect du domaine qui les intéresse, dans la plupart des cas, ils n’ont pas de réponse. Alors qu’au sein d’une institution financière, il y a plusieurs types de postes. Il y a, par exemple, ceux qui s’occupent de l’aspect crédit. Pour ce pan, il faut qu’ils soient bons en analyse financière, qu’ils aient le contact facile parce qu’ils seront en contact permanent avec les clients ; des clients qu’ils doivent arriver à convaincre. Cela demande bien d’autres qualités et aptitudes qui nécessitent chez l’agent un certain nombre de prédispositions particulières ou de formation. Ainsi, pendant qu’il est à l’université, l’étudiant devrait connaitre le volet qui l’intéresse et travailler à y améliorer ses compétences.
Le deuxième conseil part du fait que souvent, les gens pensent que quand tu viens faire ton stage ou tes débuts en banque ou dans une institution financière, tu auras forcément un poste à la fin. Je fais savoir souvent aux juristes qui veulent intégrer les banques ou les microfinances, que le volet par exemple où les institutions de financement recrutent beaucoup, c’est celui du recouvrement. Il y a beaucoup de crédits qui sont accordés et on a besoin de les recouvrer. Je leur conseille donc d’aller faire un stage chez un huissier parce que c’est lui qui fait les saisies quand l’institution financière échoue à recouvrer. En faisant un tel stage, l’intéressé maitrise très bien les procédures de recouvrement et son dossier accrochera plus le recruteur parce qu’il a déjà des connaissances dans le volet pour lequel on veut recruter. Aussi, avoir travaillé dans un cabinet d’avocat où on traitait des dossiers de recouvrement peut intéresser le recruteur. A ceux qui veulent aller dans le domaine des audits et contrôle, je leur demande d’aller faire un stage ou d’obtenir un contrat dans un cabinet d’expertise comptable puisque c’est l’expert-comptable qui est l’auditeur par excellence. Quand tu réussis à travailler dans ces structures et que tu postules à un recrutement d’agent pour le service audit et contrôle, ton dossier a plus de chance d’accrocher le recruteur. De même, si tu veux être agent de crédit dans une institution financière, il faut chercher à être comptable dans une PME où tu pourras connaitre les problèmes de la PME. Si tu postules aux structures qui veulent recruter un analyste risque ou un agent de crédit et que le recruteur voit que tu as déjà travaillé dans une PME, cela peut être ta chance. On peut voir que la banque n’est pas forcément le meilleur lieu d’apprentissage.
Les aspirants peuvent apprendre à la périphérie, se renforcer et après venir en force au sein de l’institution financière.
Le troisième conseil que je peux donner, c’est de beaucoup travailler sur l’informatique, c’est-à-dire les logiciels comme Word, Excel, PowerPoint, etc. Tous ces outils modernes sont beaucoup utilisés dans les institutions. Quand un aspirant maitrise déjà ces outils, il a une longueur d’avance sur les autres. Quand j’étais Directeur clientèle à Orabank, je me rappelle qu’un jour où nous faisions des présentations sur des tableaux, il y avait un jeune stagiaire qui maitrisait très bien Excel et qui a fait ses preuves devant le DG. Le DG était tellement satisfait qu’il a demandé qu’on lui fasse signer un contrat car il maitrisait très bien ces outils, et mieux que certains cadres de l’institution. Je leur dis à chaque fois de se mettre à fond dans ces nouveaux outils. L’autre conseil, c’est l’apprentissage des langues, notamment l’anglais. Dans beaucoup d’institutions aujourd’hui, quand tu parles l’anglais, c’est très important.
Il ne faut pas qu’ils hésitent, car ce sont ces détails qui vont faire la différence puisque vous aurez presque le même niveau basique que les autres candidats. Quand j’étais à Orabank, nous avions reçu entre temps l’instruction de recruter un agent qui parle mandarin parce qu’il y avait beaucoup d’entreprises chinoises qui commençaient à s’installer. En tant qu’agent d’une institution, c’est un atout de parler la langue de vos partenaires et de vos clients; ils viendront naturellement vers vous.
C’est la même chose aussi pour la langue arabe que les gens voient uniquement sous l’angle de la religion alors que c’est une langue de commerce qui nous permet d’avoir une ouverture sur les pays arabes qui ont beaucoup de fonds à placer. Je pense qu’un jeune qui prend en compte ces quatre (04) conseils finira par s’en sortir.
Quelles sont les valeurs qui vous ont permis de relever les différents défis ?
L’une des valeurs cardinales dans notre domaine, c’est l’intégrité. Ce sont des postes où tu es en contact avec l’argent des clients ; tu gères les biens d’autres personnes. Il faut respecter la réglementation. Si tu es face à des situations où tu dois agir en dehors de la règlementation, il faut toujours se référer à tes supérieurs pour demander leur autorisation avant d’avancer. Je ne manque pas de le dire à mes jeunes frères qu’il faut toujours respecter les textes, surtout dans les institutions financières. Soyez sérieux avec les gens. Ce que j’ai constaté surtout en banque, c’est que quand tu es « réglo», ce sont les clients eux-mêmes qui te réclament à tes supérieurs. Et quand tu es un agent qui a coutume de dealer avec les clients, c’est également les mêmes qui révèleront tes pratiques là où il faut. Quand je rencontre des agents de banque qui prennent les dossiers des clients et les gardent dans les tiroirs sous prétexte qu’il faut leur glisser quelque chose avant que ceux-ci n’aient le financement, je trouve qu’ils sont en train de détruire leur carrière sans le savoir. Tu ne peux pas racketter les clients et espérer faire une bonne carrière. Le client te donnera l’argent certes, mais ce n’est jamais du fond de son cœur. Dès qu’il sera dehors, il peut te dénoncer auprès de tes patrons.
La deuxième valeur, c’est la patience. Si tu arrives nouvellement, il ne faut pas être trop pressé. Il faut prendre le temps d’apprendre auprès des autres. Tu fais correctement tout ce qu’il y a à faire et un jour ou l’autre, les gens finiront par reconnaitre ton mérite et te mettront là où il faut.
La troisième valeur, c’est la conquête permanente du savoir. Il ne faut pas hésiter à se lancer dans les formations. J’ai connu des agents de banque, et même certains de la fonction publique, qui ont commencé avec le niveau BEPC mais qui ont poursuivi leurs études. Chaque soir, à la descente, ils ont suivi des cours et ont obtenu des diplômes. Même s’ils ne sont pas directement reclassés au service quand ils gagnent un diplôme, on peut remarquer qu’ils se sont beaucoup améliorés dans leur façon de faire et de travailler, et qu’ils maitrisent beaucoup plus de choses. Ils finissent forcément par être placés à des postes plus importants. Par exemple, après mon admission à l’ENAREF, je me suis inscrit pour continuer avec ma maitrise en droit. J’ai obtenu un DESS en droit économique qui est l’équivalent aujourd’hui d’un master. Je n’étais pas obligé de le faire car j’étais déjà inspecteur du trésor. Mais je l’ai fait. Après avoir obtenu ce DESS en droit économique, j’ai postulé à un test que la Banque Centrale a organisé dans tous les pays de l’UEMOA, pour faire un Master en finance. Elle recrutait cinq (05) personnes dans chaque pays pour les former au Centre Ouest Africain de Formation Bancaire (COFEB) situé au sein de la BCEAO. J’avoue que ce sont les connaissances que j’ai acquises lors de ma formation en droit économique qui m’ont permis d’être reçu à ce test. Je ne me suis pas limité à ce niveau car, après j’ai fait une spécialisation en banque et finance. Quand je suis revenu, j’ai travaillé trois ans avant de rejoindre le secteur bancaire. Donc, cette quête permanente du savoir ne doit pas être ignorée par les jeunes. Si une personne de l’entreprise vient me voir, je demande son diplôme. Si tu me dis que tu as une maitrise, je te demande : qu’est-ce qui t’empêche de faire un master ? Tu es jeune et tu peux t’inscrire à un master. Après ta descente du boulot, tu peux aller suivre tes cours et une fois ton master obtenu, tu pourras t’inscrire pour une thèse si tu désires toujours continuer.
Je pense que si un agent applique ces trois choses, c’est-à-dire, être intègre, être patient et avoir le goût de l’apprentissage permanent, en principe, il finit par décrocher ce qu’il lui faut.
Quelles ont été vos difficultés durant votre parcours ?
J’ai eu la chance, quand j’étais petit, de venir au Burkina de temps en temps. Donc, quand je suis arrivé, j’ai eu des amis qui étaient très ouverts, qui m’ont aidé à m’intégrer. Quand nous sommes arrivés à l’université, tout le monde avait la bourse qui faisait à l’époque 33 000 F CFA. L’Etat prenait pratiquement tout en charge et dans les amphis, on n’était pas nombreux comme maintenant. Je crois qu’en droit, on était 300 étudiants avec des enseignants engagés. Au restaurant universitaire, on se servait à notre guise ; c’était du self-service. C’était vraiment la belle époque, l’université était très facile et quand on finissait, d’autres avaient la possibilité d’avoir des bourses étrangères.
Aujourd’hui, il y a plus d’étudiants et cela fait que ce n’est pas facile pour tout le monde. Donc, en résumé, il faut le reconnaitre, sur le plan des études, je n’ai pas eu trop de difficultés parce que les conditions étaient réunies par l’Etat.
Sur le plan professionnel, quand on est arrivé au Trésor, il y avait beaucoup de formations. On a été très bien formé, ce qui nous a beaucoup facilité la tâche. Là où ce n’était pas simple, c’était la gestion de la pression surtout quand j’ai quitté le Trésor pour la banque. Gérer les objectifs à atteindre avec certaines contraintes, c’était beaucoup de pression surtout quand j’ai été Directeur clientèle de banque, car je me retrouvais avec près de 80 coups de fil par jour. J’avais à l’esprit le fait que je venais du secteur public, et les gens aussi, dans leur esprit, se sont dits que quelqu’un qui vient du secteur public ne peut pas réussir dans le privé. Ainsi, c’était une sorte de challenge qu’il me fallait à tout prix relever ; il fallait que je réussisse. J’avais beaucoup de prédécesseurs qui ont quitté le public et qui étaient dans les banques, qui étaient de grands cadres, d’autres mêmes DG. S’ils ont réussi, pourquoi pas moi ? Je me le répétais. La formation dont on a bénéficié au Trésor m’a beaucoup aidé parce qu’en réalité, le Trésor c’est la banque de l’Etat. Toutes les opérations qu’on fait dans une banque, on les fait aussi au Trésor. Logiquement, avec tout cela, si tu as un peu d’engagement, tu arrives à maitriser et à gérer le stress. Dieu, de ce côté, m’a beaucoup aidé, je n’ai pas eu trop de difficultés. C’est aussi peut-être parce qu’on a eu de bons mentors, des patrons qui nous ont toujours guidés.
Qu’avez-vous à dire à ceux qui sont toujours dans les études ?
Outre ce que j’ai dit précédemment, ce que j’ai l’habitude de dire aux étudiants aujourd’hui, c’est d’abord de raisonner par étape. Avoir son diplôme, c’est le premier conseil que je leur donne. Le deuxième, c’est de ne pas négliger certaines matières quand ils bossent pour leurs diplômes. C’est ce que moi j’ai retenu comme enseignement, car aujourd’hui, je suis dans la finance alors que j’ai fait le droit. Quand on fait les études de droit, on vous fait faire la comptabilité, l’économie, les statistiques mais c’est généralement ces matières que les gens ne suivent pas. Quand on a commencé à travailler, on a vu que toutes ces matières ont leur importance.
Il faut avoir une ouverture aujourd’hui sur le monde entier. Il y a des jeunes ivoiriens qui sont avec nous ici à COFINA Burkina ; d’autres jeunes burkinabè aussi travaillent à COFINA Guinée; il faut donc avoir cette ouverture d’esprit. Je pense même que pour des jeunes du Burkina, il faut voir comment avoir des ouvertures vers l’Europe, vers l’Amérique, pas clandestinement, mais via des canaux légaux. Il ne faut pas aller rester comme un migrant, mais pour aller s’insérer, apprendre et aussi voir comment transmettre ce que l’on a appris sur le continent.
Chez nous au Burkina, on ne peut pas comprendre qu’un cadre incite les jeunes à quitter l’Afrique. Mais ce n’est pas pour quitter l’Afrique en tant que tel, cela est une stratégie. Les Indiens par exemple, selon des documents que j’ai lus, se sont posé la question de savoir quels sont ces besoins que les grands pays n’arrivent pas à satisfaire? Ils ont vu qu’aux Etats-Unis et en Angleterre, les infirmiers et les informaticiens manquaient beaucoup. Donc, ils ont dirigé beaucoup de jeunes étudiants vers leurs écoles de santé. Ils font leur cursus dans ces écoles en même temps qu’ils apprennent l’anglais.
Vers les dernières années de la formation, ils font venir des professeurs américains pour leur dispenser des cours. Pas parce que les professeurs indiens ne sont pas bons, mais pour que les gens ne doutent pas du diplôme de ceux qui vont sortir, parce que ces professeurs américains qui vont les enseigner et les évaluer, eux-mêmes iront dire qu’ils ont eu des étudiants en Inde avec un très bon niveau. Grâce à ces professeurs américains qui ont donné les cours, ils ont pu avoir plein de contrats dans les cliniques, dans les hôpitaux américains, et c’est comme cela qu’ils sont partis. Une fois que cette première promotion est partie, le lien était créé. Beaucoup d’Indiens sont aux Etats-Unis et à Londres, ce qui fait que quand tu vas aux Etats-Unis, dans presque tous les hôpitaux américains, 50% des travailleurs sont des Indiens.
En plus, ces derniers travaillent et rapatrient les fonds en Inde, repartent s’installer et ouvrent des cliniques où les Américains viennent se faire opérer. Les Chinois aussi ont un peu fait cela. Formons alors nos jeunes et envoyons-les dans les pays à fort besoin de main-d’œuvre comme le Canada par exemple.
N’est-ce pas une manière d’encourager la fuite de cerveaux ?
Non, même si certains vont voir cela comme une fuite de cerveaux, le monde d’aujourd’hui n’est plus comme avant. Le Malien Cheick Modibo Diarra, qui était à la NASA, s’est exprimé au micro d’un journaliste de RFI qui lui avait demandé si le fait d’avoir quitté le Mali n’était pas un cas de fuite de cerveaux. Il a dit non, car il était aux Etats-Unis mais quand il prenait son salaire, 50% revenait au Mali pour aider ses proches. Il avait mis en place un programme aux Etats-Unis grâce auquel il a équipé pratiquement toutes les universités du Mali en ordinateurs.
L’Etat doit travailler à aider les jeunes à sortir légalement et à se positionner dans ces grands pays pour leur permettre de revenir au pays avec un savoir-faire. C’est pourquoi les langues sont importantes et l’ouverture d’esprit que chacun doit avoir est capitale.
Quel message souhaitez-vous adresser à la jeunesse ?
À la jeunesse, je veux dire de ne pas baisser les bras. Le conseil que je peux donner à tous les jeunes qui créent des entreprises, c’est de chercher à s’insérer dans la chaine de valeurs de certaines grandes entreprises. Ici, nous essayons vraiment de promouvoir cela. Ce n’est pas facile pour un jeune de créer une entreprise et de se battre pour son émergence. Au Burkina, par exemple, la brasserie est une chaine de valeurs qui marche très bien. Un jeune peut chercher à savoir quels sont les besoins d’une brasserie et en quoi est-ce qu’il peut satisfaire certains de ces besoins. Et c’est comme cela que vous verrez des clients qui font de la semoule de maïs puisque les brasseries en commandent parfois auprès des PME qui se sont installées à cet effet et qui leur font cette livraison. Sachant que pour faire de la semoule de maïs, il faut le maïs, il lui faudra alors acheter le maïs en quantité ce qui peut demander beaucoup de trésorerie. C’est en ce moment que COFINA intervient pour financer son projet afin qu’il ait un bon stock. Il peut alors enlever dans ce stock pour livrer à la brasserie ou toute autre entreprise. Avec les paiements qui sont faits, il pourra au fur et à mesure rembourser le crédit. Cet exemple peut être dupliqué dans plusieurs domaines.
Ça peut être dans les hydrocarbures avec la SONABHY, dans les textiles avec la SOFITEX, etc. L’essentiel est d’avoir un écosystème où il y a une grande entreprise pouvant se constituer en une grande acheteuse. C’est comme cela qu’on pourra encourager les PME à se positionner pour pouvoir satisfaire ces grands acheteurs. Dans certains pays, ce sont les produits laitiers qui sont demandés. Ils ont de grandes entreprises qui achètent du lait dans le but de les transformer en fromage ou en lait vendu dans les grandes surfaces. Ils ont ainsi encouragé l’installation de beaucoup d’éleveurs qui ont peut-être cinq ou dix vaches à lait qui produisent. Ce sont ces gens que les institutions comme COFINA financent pour la réalisation de leur projet de telle sorte que les entrepreneurs n’ont plus à s’attarder sur la commercialisation puisque ce qu’il va produire est déjà acheté. Je crois qu’on doit beaucoup encourager les jeunes à s’intéresser à ce genre de secteur et nous serons derrière pour l’accompagnement financier. C’est la même chose avec l’exportation. Il y a un certain nombre de produits qui sont demandés dans certains pays. On peut avoir certaines grandes entreprises qui vont s’installer pour exporter. COFINA peut accompagner les PME qui peuvent aider à faire ce genre de productions dans le but de les exporter. Nous avons l’exemple de la mangue séchée dans la zone de Bobo-Dioulasso. Là-bas, nous sommes en train d’accompagner beaucoup d’unités qui sont dans le domaine parce qu’il y a un certain nombre de gros acteurs qui ont conclu des contrats avec des centrales d’achats hors du continent (en Allemagne, en Italie, en France, …). Ces contrats stipulent que ces centrales d’achats sont prêtes à payer la totalité de leurs produits. COFINA accompagne ces unités dans l’installation pour honorer leurs commandes suivant le cahier de charges du contrat.
J’échange avec d’autres jeunes qui sont découragés. Mais en même temps quand je vois des Chinois, des Indiens qui sont en train de venir massivement dans nos pays, je me dis qu’il doit y avoir quelque chose que, peut-être, nous ne voyons pas. S’ils sont en train de venir massivement alors que nous, on a « le coeur de quitter », peut-être qu’il y a quelque chose que nous n’avons pas encore découvert ; travaillons à le découvrir et avançons.
La Rédaction